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LE MASQUE DE LA MORT ROUGE : SACRÉE SOIRÉE !

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Manage episode 380166095 series 3301413
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Tel est pris qui croyait prendre, voilà qui pourrait être la morale d’une histoire d’Edgar Allan Poe, ou de cet article. Aujourd’hui, on parle d’Edgar Allan Poe et de son influence sur la bande dessinée américaine !

Quand je me suis dit qu’il serait amusant de vous parler du Masque de la Mort Rouge et de ses adaptations en comic books, je n’imaginais pas dans quelle spirale infernale je venais de tomber… Car, si l’Américain Edgar Allan Poe, né à Boston en 1809, est incontestablement l’un des pères de la littérature fantastique et horrifique moderne, il est aussi l’inspirateur d’une quantité absolument titanesque de bandes dessinées plus ou moins fidèles à ses œuvres.

Publiée pour la première fois en 1842 dans Graham’s Magazine, puis traduite en français par Charles Baudelaire dans le recueil Nouvelles Histoires Extraordinaires en 1857, The Masque of the Red Death, de son titre original, est une nouvelle s’inscrivant dans la tradition du roman gothique. Dans cette courte histoire, la Mort Rouge, une maladie proche de la peste, aux effets visibles désastreux et à la mortalité fulgurante, décime brutalement toute la population d’une contrée. Le Prince Prospero, un homme de pouvoir dans la région, invite un millier de nobles dans son palais au cœur d’une abbaye fortifiée, interdisant à quiconque d’entrer ou de sortir, afin d’éviter toute intrusion d’une personne malade. Bien que barricadés, les convives de Prospero ne manquent de rien, ni de nourriture, ni de divertissements en tout genre. Après plusieurs mois d’enfermement, un bal masqué est organisé et Prospero fait décorer chaque salle de sa demeure d’une couleur différente. Les six premières sont respectivement bleue, pourpre, verte, orange, blanche, et violette, les vitres des fenêtres de chaque pièce laissant passer une lumière dont la couleur est identique à celle des murs. Mais la septième chambre fait exception. Entièrement noire, elle est éclairée d’une lumière rouge, et on y trouve une énorme horloge sonnant à chaque heure d’une façon plus pesante. Lors de la fête, aux douze coups de minuit, un étranger grand et décharné, au masque semblable au visage d’un cadavre, et entièrement vêtu de rouge, se mêle à la foule, errant au milieu des danseurs. Prospero, en colère face à ce costume qu’il prend pour une provocation, demande à ce que l’étranger soit arrêté, puis pendu ! Mais nul n’ose l’interpeller pendant qu’il traverse le palais. Prospero se jette alors sur lui, poignard à la main. Mais, comme foudroyé, il s’écroule sans vie, tandis que les convives constatent que la créature n’est autre la Mort Rouge incarnée, avant de mourir un à un.

Si la morale de cette histoire n’est jamais explicitement donnée par Edgar Allan Poe, on y voit souvent une allégorie de l'inéluctabilité de la mort. La Mort Rouge ; peut-être inspirée de la tuberculose dont souffrait Virginia, l’épouse de Poe ; se propage de façon inarrêtable, y compris entre les murs du lieu où la noblesse se croyait à l’abri. Aucun stratagème ne permet d’y échapper et vouloir la contrôler est aussi vain qu’illusoire, tandis que son avancée inexorable nous est rappelée par chaque sonnerie du carillon, qui laisse derrière lui un silence de mort, avant que l’activité des invités ne reprenne peu à peu. L’autre interprétation que l’on peut en faire est plus sociale, car Le Masque de la Mort Rouge met en exergue le dédain des riches et des puissants qui festoient à l’abri, alors que les pauvres et les paysans sont exterminés par la maladie. Mais le répit des privilégiés est de courte durée, car leurs richesses et leur condition sociale ne les prémunissent pas de trépasser dans les mêmes circonstances que les indigents.

La nouvelle d’Edgar Allan Poe va inspirer un sacré paquet d’œuvres au fil des années : du Fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux à l’univers de Donjons & Dragons, en passant par un skin pour le personnage de Faucheur dans le jeu vidéo Overwatch, mais aussi des ballets, des chansons, de nombreux films, et même des comics. Car, en plus de leur influence plus que conséquente sur la Pop Culture telle que nous la connaissons aujourd’hui, les écrits de Poe ont souvent été repris, de façon plus ou moins assumée, par la bande dessinée américaine. En ce qui concerne The Masque of the Red Death en particulier, on dénombre plusieurs dizaines d’adaptations sur le papier, parfois littérales et parfois beaucoup plus libres. Si je ne vais pas toutes les citer, certaines méritent qu’on s’y attarde, notamment celles publiées par Marvel Comics, éditeur étonnamment attaché aux travaux du romancier.

Dès 1952, dans les pages du quatrième numéro de Adventures Into Weird Worlds, Bill Everett, l’artiste derrière Namor the Sub-Mariner et co-créateur de Daredevil avec Stan Lee, s’inspire du Masque de la Mort Rouge dans la courte histoire "The Face of Death", qui modernise le cadre et les protagonistes dans un style typique des comic books horrifiques pré-Comics Code. Le lecteur y est interpellé comme si cette situation pouvait réellement lui arriver, et la thématique sociale opposant l’aristocratie au petit peuple est remplacée par une rivalité amoureuse. En 1961, dans Strange Tales #83, Steve Ditko, qui deviendra plus tard l’un des pères de Spider-Man et du Docteur Strange, dessine "Masquerade Party". Là aussi, la nouvelle originale de Poe est largement modernisée, encore une fois sous le prisme d’une romance qui tourne mal, mais avec une chute beaucoup moins morbide, la censure du Comics Code Authority étant passée par là entre-temps. L’histoire sera réimprimée bien plus tard, dans Chamber of Chills #16, en 1975. Huit ans plus tard, en 1969, le scénariste Roy Thomas et le dessinateur Don heck présentent une nouvelle adaptation, "The Day of the Red Death", dans laquelle un Stan Lee transformé en narrateur à la manière du Gardien des Comptes de la Crypte nous raconte cette fois-ci une version futuriste du Masque de la Mort Rouge, mais remarquablement fidèle à l’esprit de l’originale en comparaison des publications précédentes. Plus récemment, toujours chez Marvel, l’anthologie en trois numéros Haunt of Horror, parue en 2006 sous son label MAX et dessinée par Richard Corben, a confirmé le curieux lien existant entre le nouvelliste et la Maison des Idées.

Puisque l’on parle de Richard Corben, cet artiste complet, véritable légende de la bande dessinée américaine, va, tout au long de sa carrière, lier son travail aux œuvres d’Edgar Allan Poe.Dès 1974, il adapte The Raven, dans le numéro soixante-sept de Creepy. Il réalisera en tout trois versions dessinées de ce poème narratif, la dernière en date, publiée en 2013 par Dark Horse Comics, figurant au sommaire d’un numéro contenant également son adaptation du Masque de la Mort Rouge. Qu’il illustre directement les textes de Poe ou qu’il s’en nourrisse pour ses propres créations, Corben partage avec lui son amour des ambiances angoissantes et des univers vaporeux. Son style graphique se prête parfaitement aux cadres pratiquement oniriques des nouvelles, mais aussi à leurs révélations finales choquantes et à leur suggestivité parfois perturbante. Il est incontestablement l’un des auteurs de bande dessinée qui a le mieux capturé l’essence des écrits d’Edgar Allan Poe et, si ses travaux vous intéressent, l’intégralité de ses histoires publiées par Dark Horse est disponible en français en un seul volume intitulé Esprit des Morts, chez Delirium.

Mais, bien avant Corben, d’autres artistes ont cherché à adapter plus fidèlement The Mask of the Red Death. En 1964 sort ce qui est sûrement l’adaptation cinématographique la plus célèbre de la nouvelle, réalisée par Roger Corman, avec Vincent Price dans le rôle de Prospero. Afin de transformer ce court récit de quelques pages en un long-métrage d’une heure trente, de nombreux éléments sont ajoutés pour préciser le contexte et donner du corps à l’intrigue. Prospero y est montré comme un individu détestable et violent, terrorisant la population vivant autour de son palais et vouant même un culte à Satan. Le culte satanique de Prospero est d’ailleurs omniprésent dans le film, alors que Poe n’en fait jamais mention dans son histoire, et le tout est agrémenté d’une rivalité amoureuse entre Juliana, la compagne de Prospero, et Francesca, une jeune femme kidnappée dans un village ravagé par le prince qui espérait ainsi éviter la propagation de la Mort Rouge. L’ensemble correspond quand même assez bien au texte original dans l’idée, même si l’interprétation sociale y est plus forte et si la figure féminine de Francesca apporte également son lot d’hypothèses, totalement inexistantes chez Poe. Le Masque de la Mort Rouge est le septième film d’un cycle qui en compte huit en tout, tous réalisés par Roger Corman entre 1960 et 1965, d’après les histoires d’Edgar Allan Poe. Et outre le statut culte de ce portage sur grand écran, il a la particularité d’avoir été adapté en comic book par l’éditeur Dell Comics. Cette adaptation, dessinée par Frank Springer, un artiste très prolifique chez Dell et que l’on retrouvera plus tard sur les séries Dazzler ou G.I Joe chez Marvel, est un travail de commande à caractère promotionnel typique de l’époque, mais reste plutôt agréable à lire. On notera qu’en 1989, Corman a produit un remake de son propre film, avec Adrian Paul, alias Duncan MacLeod dans la série télévisée Highlander, dans le rôle de Prospero, pour un résultat beaucoup moins mémorable.

Il faut finalement attendre 1967, dans les pages du douzième numéro du magazine Eerie, pour voir la première adaptation en bande dessinée vraiment fidèle à la nouvelle d’Edgar Allan Poe, écrite par Archie Goodwin et dessinée par Tom Sutton. Le format magazine adopté par Warren Publishing permettait à l’éditeur de passer outre les restrictions du Comics Code Authority, et donc de montrer beaucoup plus de scènes gores et scabreuses. Le style de Tom Sutton marche vraiment très bien dans ce type de récit qui, bien qu’horrifique, conserve des outrances grand-guignolesques. Il a d'ailleurs consacré une bonne partie de ses travaux à des comics d’horreur, à quelques remarquables exceptions, comme son intervention sur pratiquement tous les numéros de la série Star Trek publiée par DC Comics entre 1984 et 1988. L’autre adaptation marquante en provenance de chez Warren se trouve dans Vampirella #110, paru en 1982. Rich Margopoulos et Rafael Aura León y présentent une version également très fidèle au texte original, dont certaines cases flirtent gentiment avec l’érotisme. Ces deux histoires ont été réimprimées de nombreuses fois par la suite, et comptent parmi la multitude d’exemples de la façon dont l’œuvre de Poe a inspiré toute une génération de scénaristes et d’illustrateurs qui participent au regain d’intérêt pour l’épouvante classique et l’horreur gothique à partir de la seconde moitié du vingtième siècle.

Au-delà des adaptations de ses œuvres, Edgar Allan Poe est avant tout un personnage historique majeur pour la culture des États-Unis, si bien qu’on le retrouve parfois mis en scène comme un personnage de fiction, de façon plus ou moins sérieuse, dans à peu près tout et n’importe quoi : de South Park aux Beetleborgs, en passant par les Simpson et Sabrina, l’Apprentie Sorcière. Évidemment, les comic books n’échappent pas à cette étrange coutume et le poète apparaît ainsi dans un nombre conséquent de publications. Dans le deuxième numéro de l’anthologie horrifique Spellbound, paru en 1952, il est transformé en vilain qui torture un acteur dans une mise en scène macabre digne d’un film de la saga Saw. Chez DC Comics, il croise la route de super-héros comme Superboy et The Atom, tandis que le vingt-sixième numéro de la série Ghosts, publié en 1974, va jusqu’à réinventer les causes de sa mort, restées troubles jusqu’à aujourd’hui. Enfin, avec ses séries Snifter of Terror ou Snifter of Blood, AHOY Comics revisite les classiques de l’écrivain sous un jour plus moderne, et parfois parodique, derrière des couvertures hommages aussi inattendues qu’amusantes. Une utilisation pas toujours du meilleur goût, mais qui révèle à quel point il a influencé par bien des façons les auteurs et les artistes derrière nos bande dessinées préférées, ces derniers nourrissant un besoin quasi-viscéral de lui rendre hommage d’une manière ou d’une autre.

Honnêtement, en me lançant dans l’écriture de cet article, je ne m’attendais pas à avoir autant de choses à vous raconter. Et tout ça en ne traitant que d’une seule histoire écrite par Edgar Allan Poe, et pratiquement uniquement par le prisme de ses adaptations en comics… C’est dire quel terrier de lapin sans fond peut devenir le moindre sujet lié à la Pop Culture, au sens très large du terme, pour peu que l’on prenne la peine de se questionner sur chaque élément laissé çà et là par les différents acteurs de son développement… Alors, au regard de la ribambelle de productions tirées du Masque de la Mort Rouge, ma conclusion est la suivante : à quoi que Prospero ait pu espérer échapper en s’enfermant dans son palais, ce n’était assurément pas la postérité.

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Quand je me suis dit qu’il serait amusant de vous parler du Masque de la Mort Rouge et de ses adaptations en comic books, je n’imaginais pas dans quelle spirale infernale je venais de tomber… Car, si l’Américain Edgar Allan Poe, né à Boston en 1809, est incontestablement l’un des pères de la littérature fantastique et horrifique moderne, il est aussi l’inspirateur d’une quantité absolument titanesque de bandes dessinées plus ou moins fidèles à ses œuvres.

Publiée pour la première fois en 1842 dans Graham’s Magazine, puis traduite en français par Charles Baudelaire dans le recueil Nouvelles Histoires Extraordinaires en 1857, The Masque of the Red Death, de son titre original, est une nouvelle s’inscrivant dans la tradition du roman gothique. Dans cette courte histoire, la Mort Rouge, une maladie proche de la peste, aux effets visibles désastreux et à la mortalité fulgurante, décime brutalement toute la population d’une contrée. Le Prince Prospero, un homme de pouvoir dans la région, invite un millier de nobles dans son palais au cœur d’une abbaye fortifiée, interdisant à quiconque d’entrer ou de sortir, afin d’éviter toute intrusion d’une personne malade. Bien que barricadés, les convives de Prospero ne manquent de rien, ni de nourriture, ni de divertissements en tout genre. Après plusieurs mois d’enfermement, un bal masqué est organisé et Prospero fait décorer chaque salle de sa demeure d’une couleur différente. Les six premières sont respectivement bleue, pourpre, verte, orange, blanche, et violette, les vitres des fenêtres de chaque pièce laissant passer une lumière dont la couleur est identique à celle des murs. Mais la septième chambre fait exception. Entièrement noire, elle est éclairée d’une lumière rouge, et on y trouve une énorme horloge sonnant à chaque heure d’une façon plus pesante. Lors de la fête, aux douze coups de minuit, un étranger grand et décharné, au masque semblable au visage d’un cadavre, et entièrement vêtu de rouge, se mêle à la foule, errant au milieu des danseurs. Prospero, en colère face à ce costume qu’il prend pour une provocation, demande à ce que l’étranger soit arrêté, puis pendu ! Mais nul n’ose l’interpeller pendant qu’il traverse le palais. Prospero se jette alors sur lui, poignard à la main. Mais, comme foudroyé, il s’écroule sans vie, tandis que les convives constatent que la créature n’est autre la Mort Rouge incarnée, avant de mourir un à un.

Si la morale de cette histoire n’est jamais explicitement donnée par Edgar Allan Poe, on y voit souvent une allégorie de l'inéluctabilité de la mort. La Mort Rouge ; peut-être inspirée de la tuberculose dont souffrait Virginia, l’épouse de Poe ; se propage de façon inarrêtable, y compris entre les murs du lieu où la noblesse se croyait à l’abri. Aucun stratagème ne permet d’y échapper et vouloir la contrôler est aussi vain qu’illusoire, tandis que son avancée inexorable nous est rappelée par chaque sonnerie du carillon, qui laisse derrière lui un silence de mort, avant que l’activité des invités ne reprenne peu à peu. L’autre interprétation que l’on peut en faire est plus sociale, car Le Masque de la Mort Rouge met en exergue le dédain des riches et des puissants qui festoient à l’abri, alors que les pauvres et les paysans sont exterminés par la maladie. Mais le répit des privilégiés est de courte durée, car leurs richesses et leur condition sociale ne les prémunissent pas de trépasser dans les mêmes circonstances que les indigents.

La nouvelle d’Edgar Allan Poe va inspirer un sacré paquet d’œuvres au fil des années : du Fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux à l’univers de Donjons & Dragons, en passant par un skin pour le personnage de Faucheur dans le jeu vidéo Overwatch, mais aussi des ballets, des chansons, de nombreux films, et même des comics. Car, en plus de leur influence plus que conséquente sur la Pop Culture telle que nous la connaissons aujourd’hui, les écrits de Poe ont souvent été repris, de façon plus ou moins assumée, par la bande dessinée américaine. En ce qui concerne The Masque of the Red Death en particulier, on dénombre plusieurs dizaines d’adaptations sur le papier, parfois littérales et parfois beaucoup plus libres. Si je ne vais pas toutes les citer, certaines méritent qu’on s’y attarde, notamment celles publiées par Marvel Comics, éditeur étonnamment attaché aux travaux du romancier.

Dès 1952, dans les pages du quatrième numéro de Adventures Into Weird Worlds, Bill Everett, l’artiste derrière Namor the Sub-Mariner et co-créateur de Daredevil avec Stan Lee, s’inspire du Masque de la Mort Rouge dans la courte histoire "The Face of Death", qui modernise le cadre et les protagonistes dans un style typique des comic books horrifiques pré-Comics Code. Le lecteur y est interpellé comme si cette situation pouvait réellement lui arriver, et la thématique sociale opposant l’aristocratie au petit peuple est remplacée par une rivalité amoureuse. En 1961, dans Strange Tales #83, Steve Ditko, qui deviendra plus tard l’un des pères de Spider-Man et du Docteur Strange, dessine "Masquerade Party". Là aussi, la nouvelle originale de Poe est largement modernisée, encore une fois sous le prisme d’une romance qui tourne mal, mais avec une chute beaucoup moins morbide, la censure du Comics Code Authority étant passée par là entre-temps. L’histoire sera réimprimée bien plus tard, dans Chamber of Chills #16, en 1975. Huit ans plus tard, en 1969, le scénariste Roy Thomas et le dessinateur Don heck présentent une nouvelle adaptation, "The Day of the Red Death", dans laquelle un Stan Lee transformé en narrateur à la manière du Gardien des Comptes de la Crypte nous raconte cette fois-ci une version futuriste du Masque de la Mort Rouge, mais remarquablement fidèle à l’esprit de l’originale en comparaison des publications précédentes. Plus récemment, toujours chez Marvel, l’anthologie en trois numéros Haunt of Horror, parue en 2006 sous son label MAX et dessinée par Richard Corben, a confirmé le curieux lien existant entre le nouvelliste et la Maison des Idées.

Puisque l’on parle de Richard Corben, cet artiste complet, véritable légende de la bande dessinée américaine, va, tout au long de sa carrière, lier son travail aux œuvres d’Edgar Allan Poe.Dès 1974, il adapte The Raven, dans le numéro soixante-sept de Creepy. Il réalisera en tout trois versions dessinées de ce poème narratif, la dernière en date, publiée en 2013 par Dark Horse Comics, figurant au sommaire d’un numéro contenant également son adaptation du Masque de la Mort Rouge. Qu’il illustre directement les textes de Poe ou qu’il s’en nourrisse pour ses propres créations, Corben partage avec lui son amour des ambiances angoissantes et des univers vaporeux. Son style graphique se prête parfaitement aux cadres pratiquement oniriques des nouvelles, mais aussi à leurs révélations finales choquantes et à leur suggestivité parfois perturbante. Il est incontestablement l’un des auteurs de bande dessinée qui a le mieux capturé l’essence des écrits d’Edgar Allan Poe et, si ses travaux vous intéressent, l’intégralité de ses histoires publiées par Dark Horse est disponible en français en un seul volume intitulé Esprit des Morts, chez Delirium.

Mais, bien avant Corben, d’autres artistes ont cherché à adapter plus fidèlement The Mask of the Red Death. En 1964 sort ce qui est sûrement l’adaptation cinématographique la plus célèbre de la nouvelle, réalisée par Roger Corman, avec Vincent Price dans le rôle de Prospero. Afin de transformer ce court récit de quelques pages en un long-métrage d’une heure trente, de nombreux éléments sont ajoutés pour préciser le contexte et donner du corps à l’intrigue. Prospero y est montré comme un individu détestable et violent, terrorisant la population vivant autour de son palais et vouant même un culte à Satan. Le culte satanique de Prospero est d’ailleurs omniprésent dans le film, alors que Poe n’en fait jamais mention dans son histoire, et le tout est agrémenté d’une rivalité amoureuse entre Juliana, la compagne de Prospero, et Francesca, une jeune femme kidnappée dans un village ravagé par le prince qui espérait ainsi éviter la propagation de la Mort Rouge. L’ensemble correspond quand même assez bien au texte original dans l’idée, même si l’interprétation sociale y est plus forte et si la figure féminine de Francesca apporte également son lot d’hypothèses, totalement inexistantes chez Poe. Le Masque de la Mort Rouge est le septième film d’un cycle qui en compte huit en tout, tous réalisés par Roger Corman entre 1960 et 1965, d’après les histoires d’Edgar Allan Poe. Et outre le statut culte de ce portage sur grand écran, il a la particularité d’avoir été adapté en comic book par l’éditeur Dell Comics. Cette adaptation, dessinée par Frank Springer, un artiste très prolifique chez Dell et que l’on retrouvera plus tard sur les séries Dazzler ou G.I Joe chez Marvel, est un travail de commande à caractère promotionnel typique de l’époque, mais reste plutôt agréable à lire. On notera qu’en 1989, Corman a produit un remake de son propre film, avec Adrian Paul, alias Duncan MacLeod dans la série télévisée Highlander, dans le rôle de Prospero, pour un résultat beaucoup moins mémorable.

Il faut finalement attendre 1967, dans les pages du douzième numéro du magazine Eerie, pour voir la première adaptation en bande dessinée vraiment fidèle à la nouvelle d’Edgar Allan Poe, écrite par Archie Goodwin et dessinée par Tom Sutton. Le format magazine adopté par Warren Publishing permettait à l’éditeur de passer outre les restrictions du Comics Code Authority, et donc de montrer beaucoup plus de scènes gores et scabreuses. Le style de Tom Sutton marche vraiment très bien dans ce type de récit qui, bien qu’horrifique, conserve des outrances grand-guignolesques. Il a d'ailleurs consacré une bonne partie de ses travaux à des comics d’horreur, à quelques remarquables exceptions, comme son intervention sur pratiquement tous les numéros de la série Star Trek publiée par DC Comics entre 1984 et 1988. L’autre adaptation marquante en provenance de chez Warren se trouve dans Vampirella #110, paru en 1982. Rich Margopoulos et Rafael Aura León y présentent une version également très fidèle au texte original, dont certaines cases flirtent gentiment avec l’érotisme. Ces deux histoires ont été réimprimées de nombreuses fois par la suite, et comptent parmi la multitude d’exemples de la façon dont l’œuvre de Poe a inspiré toute une génération de scénaristes et d’illustrateurs qui participent au regain d’intérêt pour l’épouvante classique et l’horreur gothique à partir de la seconde moitié du vingtième siècle.

Au-delà des adaptations de ses œuvres, Edgar Allan Poe est avant tout un personnage historique majeur pour la culture des États-Unis, si bien qu’on le retrouve parfois mis en scène comme un personnage de fiction, de façon plus ou moins sérieuse, dans à peu près tout et n’importe quoi : de South Park aux Beetleborgs, en passant par les Simpson et Sabrina, l’Apprentie Sorcière. Évidemment, les comic books n’échappent pas à cette étrange coutume et le poète apparaît ainsi dans un nombre conséquent de publications. Dans le deuxième numéro de l’anthologie horrifique Spellbound, paru en 1952, il est transformé en vilain qui torture un acteur dans une mise en scène macabre digne d’un film de la saga Saw. Chez DC Comics, il croise la route de super-héros comme Superboy et The Atom, tandis que le vingt-sixième numéro de la série Ghosts, publié en 1974, va jusqu’à réinventer les causes de sa mort, restées troubles jusqu’à aujourd’hui. Enfin, avec ses séries Snifter of Terror ou Snifter of Blood, AHOY Comics revisite les classiques de l’écrivain sous un jour plus moderne, et parfois parodique, derrière des couvertures hommages aussi inattendues qu’amusantes. Une utilisation pas toujours du meilleur goût, mais qui révèle à quel point il a influencé par bien des façons les auteurs et les artistes derrière nos bande dessinées préférées, ces derniers nourrissant un besoin quasi-viscéral de lui rendre hommage d’une manière ou d’une autre.

Honnêtement, en me lançant dans l’écriture de cet article, je ne m’attendais pas à avoir autant de choses à vous raconter. Et tout ça en ne traitant que d’une seule histoire écrite par Edgar Allan Poe, et pratiquement uniquement par le prisme de ses adaptations en comics… C’est dire quel terrier de lapin sans fond peut devenir le moindre sujet lié à la Pop Culture, au sens très large du terme, pour peu que l’on prenne la peine de se questionner sur chaque élément laissé çà et là par les différents acteurs de son développement… Alors, au regard de la ribambelle de productions tirées du Masque de la Mort Rouge, ma conclusion est la suivante : à quoi que Prospero ait pu espérer échapper en s’enfermant dans son palais, ce n’était assurément pas la postérité.

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